Vu sur le blog de Christophe Thoreau

Driiing ! "Bonjour monsieur, c'est l'AMA"



mer 18 févr 23:35




Depuis quelques semaines, vous êtes nombreux à laisser des messages sur le blog pour que j'aborde le dossier des nouvelles règles anti-dopage. Depuis le 1er janvier, l'agence mondiale antidopage (AMA) oblige en effet les sportifs de haut-niveau à fournir un emploi du temps très précis. Objectif pour l'agence : savoir à tout moment où se trouvent les champions et ainsi pouvoir effectuer des contrôles inopinés. Concernant le tennis, cette nouvelle directive touche les 50 premiers mondiaux et si un joueur est absent à trois contrôles surprises (c'est ce que l'on appelle un « no show »), il risque une suspension.
Sur le fond, on ne peut qu'être d'accord avec cette règle. Seulement voilà, comme Rafael Nadal et Andy Murray ont pris la parole pour la critiquer, non pas sur le principe, mais sur les contraintes que ces contrôles entrainent au quotidien pour les champions, quelques médias ont évidemment fait tout un foin de leurs déclarations, sous-entendant que ces deux joueurs majeurs du circuit étaient contre. Ce n'est pas exactement le cas.
Écoutons Rafa : « Même ma mère et mon oncle ne savent pas toujours où je suis. Donc envoyer un message ou avoir peur toute la journée en cas de changement de programme de dernière minute, c'est exagéré. J'ai déjà eu la visite des agents, à Majorque, un samedi à 8h du matin, alors que j'avais fait la fête toute la nuit avec les copains. Vous imaginez... Nous sommes des humains, et n'avons pas à être considérés comme des criminels alors que nous faisons du sport. »
Où serai-je dans trois mois ?

« Je comprends ce que Rafa veut dire, poursuit Arnaud Clément, interrogé ici à Marseille lors de l'Open 13. Mais ces contrôles sont indispensables. Il faut toutefois assouplir le système et le site web sur lequel nous devons nous connecter. Si t'as pas dix ans d'informatique, tu ne peux pas t'en sortir ! ». Via un intranet, les joueurs doivent en effet mettre à jour leur programme trois mois à l'avance et donc proposer une heure par jour pendant laquelle ils sont à la disposition des contrôleurs, si besoin. Le système semble d'ailleurs avoir eu quelques ratés au démarrage, comme le raconte Paul-Henri Mathieu. « J'ai mis quatre heures à le remplir pour apprendre après que toutes mes données avaient disparu. Le problème, c'est que l'AMA a cru que je n'avais rien rempli ». Au delà de ces soucis techniques, Paulo reste toutefois circonspect quant au bien fondé de ces contrôles. « On est déjà surveillés sur les tournois, alors je ne vois pas l'utilité. Je veux bien comprendre qu'on nous contrôle de façon inopinée en novembre-décembre parce que la saison est terminée, mais le reste de l'année.. »
Il faut le reconnaître, pour une population aussi nomade que les joueurs de tennis, ce système est évidemment compliqué à gérer. « Où serai-je dans trois mois ? explique par exemple Marc Gicquel. Avec mon classement, je ne sais pas toujours à l'avance dans quel tournoi je vais entrer. Il ne faut donc pas oublier de se connecter pour mettre à jour son programme. » Avant d'ajouter : « mais je trouve cela très bien, il le faut pour que notre sport soit sain ».
Jo-Wilfried Tsonga partage ce sentiment, tout en soulignant -fort à propos- que la plupart des autres sportifs ont une vie plus réglée que les joueurs de tennis avec, grosso modo, de l'entrainement la semaine et des compétitions le week-end. Dans ces conditions, la gestion du planning quotidien est plus facile. « J'ai été contrôlé lors d'une semaine où j'étais à l'entrainement à Roland-Garros. J'avais indiqué que j'étais « dispo » de 9h00 à 10h00 mais finalement on a changé mon heure d'entrainement. Je suis arrivé à 10h00 et les contrôleurs étaient là. Heureusement, ils m'avaient attendu. En revanche, la joueuse qui était contrôlée en même temps que moi a eu un empêchement et n'est pas arrivée à l'heure ».

Déjà contrôlé à quatre reprises, Gilles Simon est ravi de pouvoir rectifier sa position sur le sujet. « Je n'ai jamais dit que j'étais contre, comme cela a été écrit par erreur. Bien au contraire. Si on veut avoir l'image d'un sport clair, il faut le faire, même si c'est pénible ». Un sentiment globalement partagé par la majorité des joueurs à l'Open 13, à l'image de Novak Djokovic. « Le sujet est sensible dit-il. Je crois qu'il faut simplement adapter le règlement au fait que nous sommes en voyage dix mois sur douze. Mais c'est important de le faire si l'on veut que notre sport reste 'fair' ».
Le pantalon sur les chevilles
Au delà des contraintes au quotidien, la deuxième problème qui se pose concerne rien moins que le respect de la vie privée. A ce titre, le témoignage d'Andy Murray, dans le Times, est intéressant: « J'ai eu la visite d'un contrôleur à 7 heures du matin chez moi, juste après mon retour d'Australie. Je me suis réveillé sans savoir vraiment où j'étais et je souffrais du décalage horaire. Il m'a semblé ridicule de faire ce contrôle alors que j'avais déjà subi un test quatre jours plus tôt, directement après ma défaite. Le contrôleur m'a demandé de produire une pièce d'identité. Il a insisté pour me regarder faire pipi dans le bocal, avec littéralement mon pantalon aux chevilles ».

Sur ce coup-là, il faut bien le reconnaître, l'AMA n'a pas joué très finement. L'agence se doit d'être extrêmement précautionneuse sur la façon dont elle agit. Ceux qui se sentent traqués mettront en avant, dès qu'il le pourront, les erreurs ou dérives de cet organisme afin de démontrer qu'ils sont persécutés par les « vilains » contrôleurs. Et ainsi porter le débat sur un autre terrain que celui du dopage proprement dit.
Certains sont sur le point de s'en charger : un collectif de footballeurs, cyclistes et volleyeurs serait prêt à porter plainte auprès de la Cour des Droits de l'Homme contre ce nouveau règlement, considérant que le procédé employé par l'AMA est contraire aux libertés individuelles. Cela mérite discussion, mais pas sûr que l'idée fasse un tabac. Ni ne redore l'image des concernés que l'on accusera, à coup sûr, d'essayer d'échapper juridiquement aux contrôles. Car comme le dit très justement Fabrice Santoro, « si on nous met des flics, c'est parce que certains ont des choses à se reprocher .» CQFD.
PS : Jeudi 19 - 17h00. L'affaire Shahar Peer n'aura pas été inutile. On vient d'apprendre que l'Israélien Andy Ram a reçu son visa et pourra participer la semaine prochaine au tournoi ATP de Dubaï. Le gouvernement des Emirats arabes unis a donc choisi la sagesse face à la levée de bouclier qui s'organisait. Et n'a pas voulu prendre le risque de voir cet événement majeur dans ce pays rayé du calendrier. Dans ces conditions désormais, on peut imaginer que Peer pourra jouer l'an prochain cette épreuve.